Published December 31, 2015 | Version v1
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" L'Italia, culla del gusto per il foie gras.", C. Guérin (ed.), L'Italia, culla del foie gras, Sarlat, Rougié, 2015, pp. 6-9.

Description

L'histoire du foie gras est un livre épais, une somme d'aventures gourmandes vécues par différents peuples dans le cadre de diverses régions. Aujourd'hui, ses pages concernant les destins du foie gras dans certaines régions françaises sont inlassablement consultées et citées. Néanmoins, ces chapitres ne résument pas l'histoire du foie gras. D'autres épisodes tout aussi glorieux de cette épopée gastronomique s'écrivirent en d'autres lieux. L'Italie constitue incontestablement une terre historique du foie gras parmi les plus remarquables pour deux raisons. Dans l'Antiquité, elle fut la première région du monde dans laquelle le foie gras de palmipède devint d'une façon certaine un véritable joyau gourmand. Bien plus tard, elle fit partie des premières contrées européennes où la cuisine du foie gras redevint en vogue avant de s'épanouir sous des formes variées. 

C'est dans cette fascinante et savoureuse histoire du foie gras dans la péninsule italienne que nous allons maintenant nous promener… 

L'Italie, berceau du goût pour le foie gras

La Rome antique fut le premier territoire où le foie gras de palmipède fut clairement identifié et célébré comme un mets extrêmement délicat. Cela ne signifie pas nécessairement que les contemporains de Pline l'Ancien avaient totalement raison lorsqu'ils attribuaient l'invention de cet aliment délicat à un grand personnage du 1er siècle avant Jésus-Christ – le consul Scipion Metellus pour les uns, le chevalier Marcus Seius pour les autres . En effet, il est probable que les procédés d'engraissement des palmipèdes en usage dans certaines sociétés aient conduit mécaniquement à l'obtention de foies gras bien avant les débuts de la civilisation latine . Par exemple, les Grecs de l'époque classique apprécièrent la chair de l'oie soigneusement engraissée, mais rien n'indique qu'ils aient porté une attention spéciale à son foie. Il faut notamment remarquer que contrairement à ce qui se lit parfois, aucun texte cité par Athénée n'établit une présence du foie gras d'oie sur les bonnes tables grecques du IVe siècle avant Jésus-Christ . 

Au cours du dernier siècle avant le début de l'ère chrétienne, l'Italie romaine fit donc naître gastronomiquement le foie gras de palmipède en l'identifiant comme un mets à part entière, si elle ne l'inventa pas totalement. Reconnu, le foie gras s'affirma rapidement comme un aliment digne des meilleures tables. Vers – 30, Horace n'oublia pas de placer "le foie d'une oie blanche nourrie de figues" parmi les mets proposés à ses hôtes par le pédant et ridicule Nasidienus. Tout au long du demi-millénaire suivant, l'intérêt de l'élite romaine pour ce joyau gourmand demeura intact. A l'aube du second siècle, Juvénal évoqua à son tour le prestigieux foie gras dans une satire. Trois centaines d'années plus tard, l'agronome Palladius expliquait encore comment gaver des oies pour que leurs foies s'attendrissent. Entre temps, Athénée avait pu constater que le foie gras était extrêmement apprécié à Rome. C'est sans doute le fantasme gourmand exprimé dans une épigramme de Martial qui résume la force de la passion pour le foie gras qui exista tout au long de cette période au cœur de l'Empire romain: "Voyez ce foie plus gros qu'une grosse oie" !

L'œuvre de Galien montre que le foie gras de palmipède sut séduire les médecins qui veillaient à la santé de l'aristocratie romaine. En effet, ce mets y est décrit comme très agréable, très nutritif et de digestion facile . Pour leur part, deux recettes contenues dans le De re coquinaria offrent un intéressant éclairage sur le traitement culinaire des foies gras dans le monde latin. Certes, leur auteur pensait plus particulièrement à des foies gras de porc lorsqu'il les établit. Mais, il est fort probable que le produit des palmipèdes fut parfois cuisiné de la même manière; c'est-à-dire cuit dans une sauce au vin relevée au poivre ou passé sur le gril protégé à l'abri d'une crépine après avoir mariné dans une préparation parfumée au laurier et à la livèche . Pline évoqua, quant à lui, la pratique consistant à faire tremper le foie gras dans du lait avant de le mettre en cuisine .

Après l'implosion de l'Empire romain d'Occident, la consommation italienne de foie gras entra dans une phase de son histoire, où si elle ne fut pas nulle, elle fut si discrète qu'elle ne laissa aucune trace. Néanmoins, la mémoire érudite conserva le souvenir de l'antique célébration du foie gras. Dans la première moitié du XVe siècle, par exemple, le médecin padouan Giovanni Michele Savonarola ne manqua pas de rappeler les propriétés accordées au foie gras par l'illustre Galien . En outre, plusieurs traités culinaires médiévaux rappellent que les cuisiniers et les gourmands continuèrent de s'intéresser aux foies des palmipèdes, même s'ils n'étaient plus toujours très gras! Un texte du XIVe siècle conservé sous la forme d'un manuscrit écrit en vénitien évoque notamment une sauce de foie d'oie destinée à accompagner une panicata . Vers 1475, Bartolomeo Platina nota dans De honesta voluptate et valetudine qu'il trouvait avec ses contemporains que le foie d'oie était excellent, surtout quand il avait été trempé dans du lait ou de l'eau miellée … Et le foie gras sortit bientôt de l'ombre.

Le foie gras en Italie, une remarquable tradition culinaire

A partir de la seconde moitié du XVIe siècle, les indices d'une remise au goût du jour du foie gras se multiplient. En 1570, Bartolomeo Scappi présenta ce mets délicat dans son Opera dell'arte del cucinare. Cuisinier habitué au service des meilleures tables, il proposa de cuire le foie gras entier protégé par une crépine à la broche ou à la poêle mais aussi de le faire frire après l'avoir escalopé et de le préparer en tommacelle . Une quinzaine d'années plus tard, le médecin bolonais Baldassare Pisanelli se contenta, pour sa part, de constater l'excellence du foie gras dans un chapitre où il soulignait la relation particulière que la communauté juive entretenait avec l'oie, qui remplaçait sur ses tables le porc interdit . 

Dans l'ensemble de la plaine du Pô, l'implication de la communauté juive dans la production de foie gras demeura essentielle. Au XVIIIe siècle, par exemple, ce n'était pas sans raison que les autorités municipales de Reggio nell'Emilia s'adressaient aux représentants du ghetto lorsque la demande faisait flamber le prix du foie gras. Ce phénomène pouvait localement se produire avec une certaine régularité, car le goût pour ce mets de choix transcendait les clivages religieux: le foie gras était apprécié par les élites juives et chrétiennes. Cependant, les premières devaient compter avec les prescriptions religieuses du judaïsme. Il leur était notamment impossible d'admettre sur leur table un foie gras qui eût trempé dans du lait. Il exista donc une cuisine à la juive du foie gras, caractérisée comme celle des chrétiens par une belle diversité. Deux de ses plats emblématiques furent le foie escalopé all'hebrea et le frinzinsal vénitien, une tourte de lasagnes garnie pour partie avec du foie gras . Le passage de L'histoire de ma vie dans lequel Casanova évoqua l'exquis foie gras qu'il mangea chez un juif d'Ancône rappelle que cette cuisine put également séduire des gourmets chrétiens .

Le goût des élites italiennes pour le foie gras ne faiblit pas au cours du XIXe siècle. Au contraire, l'importance prise par ce mets dans la grande cuisine internationale accrut vraisemblablement son prestige. En 1857, l'auteur du Cuoco bolognese prévenait ses lecteurs qu'il ne dirait presque rien sur le foie gras car sa préparation n'avait cours que dans les grandes cuisines . Cependant, le foie gras demeura un produit fortement enraciné dans certains terroirs italiens. En 1891, Pellegrino Artusi évoqua, dans La Scienza in cucina e l'Arte di mangiar bene, un foie gras venu de Vénétie dont il avait sublimé la délicatesse par une cuisson en escalopes et une condimentation légère: un peu de sel, de poivre et de jus de citron . Un gros siècle plus tard, le foie gras continue d'offrir des spécialités à certaines régions de l'Italie – fegato grasso de Lomellina o de Palmanova , etc. D'oie ou de canard, le foie gras est aussi mis en valeur par des chefs attachés aux saveurs des terroirs et aux traditions italiennes. Forte d'une histoire prestigieuse et d'une actualité créatrice, la cuisine italienne du foie gras n'a à rougir devant aucune autre! 

Notes

Bilingual edition: Italian and English

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L_Italia_culla_del_gusto_per_il_foie_gr (1).pdf

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