Une candidature collective à la présidence du HCERES

En réac­tion à la can­di­da­ture du conseiller recherche d’Em­ma­nuel Macron, Thier­ry Coul­hon, à la pré­si­dence du Haut Conseil de l’é­va­lua­tion de la recherche et de l’en­sei­gne­ment supé­rieur (HCERES) annon­cée récem­ment, plus de 2500 chercheur·eus·e·s annoncent faire acte de can­di­da­ture col­lec­ti­ve­ment à la tête de l’au­to­ri­té admi­nis­tra­tive indé­pen­dante char­gée de l’é­va­lua­tion de l’enseignement supé­rieur et de la recherche publique.

L’i­ni­tia­tive, por­tée par le col­lec­tif RogueESR mais dont un regrou­pe­ment de chercheur·euse·s beau­coup plus large s’est empa­rée, se veut une réap­pro­pria­tion par les actrices et acteurs de la recherche de l’é­va­lua­tion de leur tra­vail. Toutes les dis­ci­plines (ou presque ?) de la recherche y sont repré­sen­tées.

 Une cible, la bureaucratie de l’évaluation de la recherche

Alors que l’a­van­cée de la recherche repose, en prin­cipe, sur une éva­lua­tion par les pairs , la lettre de moti­va­tion col­lec­tive (que vous pou­vez retrou­ver ci-des­sous) dénonce la prise en main par une bureau­cra­tie et reven­dique l’au­to­no­mie des chercheur·euse·s pour éva­luer leur tra­vail et leurs struc­tures de tra­vail.

La lettre liste trois condi­tions néces­saires pour que cette auto­no­mie se réa­lise : des « finan­ce­ments récur­rents […] en rup­ture avec […] des « appels à pro­jets court-ter­mistes », du temps et une sup­pres­sion de « la sépa­ra­tion entre des mana­gers de la recherche exer­çant le pou­voir, et des cher­cheurs et uni­ver­si­taires ».

Si la can­di­da­ture a peu de chance d’a­bou­tir, elle illustre une sépa­ra­tion de plus en plus visible des chercheur·euse·s avec leurs mana­gers. Depuis la loi d’au­to­no­mie des uni­ver­si­tés (LRU) de 2007, la hié­rar­chie admi­nis­tra­tive uni­ver­si­taire, qui reste issue en grande majo­ri­té des rangs des chercheur·euse·s s’est pro­fes­sion­na­li­sée au risque de se cou­per des pré­oc­cu­pa­tions des salarié·e·s de la recherche qui tra­vaillent dans les labos.


Lettre de motivation : Défendre l’autonomie de la recherche et des formations

C’est peu dire que les réformes de notre sys­tème de recherche menées depuis quinze ans au nom de l’excellence n’ont pas eu l’effet escomp­té. Ambi­tion­nant de ren­for­cer le sta­tut de puis­sance scien­ti­fique de la France, elles n’ont mené qu’au décro­chage de la part fran­çaise des publi­ca­tions mon­diales, l’indicateur de per­for­mance choi­si par les réfor­ma­teurs eux-mêmes. Il n’y a pas à s’étonner : l’évaluation sta­tis­tique des poli­tiques publiques montre que la quan­ti­té de publi­ca­tions scien­ti­fiques est pro­por­tion­nelle à l’argent inves­ti dans la recherche, mais qu’elle est pra­ti­que­ment insen­sible aux réformes struc­tu­relles. Or pen­dant ces quinze ans, l’effort finan­cier s’est foca­li­sé sur une niche fis­cale, le Cré­dit d’Impôt Recherche, des­ti­née à contour­ner l’interdiction euro­péenne des aides publiques directes aux entre­prises. L’évaluation faite par France Stra­té­gie de son inté­rêt pour la recherche est sans appel : son effet de levier sur l’investissement pri­vé est… néga­tif.

Les réor­ga­ni­sa­tions de l’Université et de la recherche ont aus­si des effets sys­té­miques pro­fonds, mais qui ne sont obser­vables que si l’on s’intéresse au savoir pro­duit et trans­mis plu­tôt qu’au dénom­bre­ment biblio­mé­trique. Les réformes struc­tu­relles ont conduit à une chute de la qua­li­té et du niveau d’exigence de la pro­duc­tion scien­ti­fique, dont les mul­tiples scan­dales de fraude ne sont que la par­tie appa­rente. Cette crise ins­ti­tu­tion­nelle du monde savant est d’autant plus dra­ma­tique qu’elle sur­vient dans une phase de crise sociale, cli­ma­tique et démo­cra­tique dont la réso­lu­tion passe par la pro­duc­tion, la trans­mis­sion, la cri­tique et la conser­va­tion des savoirs.

Parce qu’elle se fonde sur la pour­suite de la véri­té comme hori­zon com­mun, la science sup­pose l’au­to­no­mie des savants, cher­cheurs et uni­ver­si­taires, vis-à-vis des pou­voirs dont son exer­cice dépend, qu’ils soient poli­tiques, éco­no­miques ou reli­gieux. Cette liber­té aca­dé­mique ne doit pas être pen­sée comme une absence d’en­traves mais comme une liber­té posi­tive, garan­tie par des moyens effec­tifs. Le sur­saut passe par la réaf­fir­ma­tion des condi­tions pra­tiques de cette auto­no­mie.

La pre­mière condi­tion est bud­gé­taire : pour encou­ra­ger l’inventivité et la créa­tion, il est indis­pen­sable de doter la recherche de finan­ce­ments récur­rents, en rup­ture avec le for­ma­tage bureau­cra­tique de la science par des “appels à pro­jets” court-ter­mistes, qui encou­ragent le confor­misme et la recherche incré­men­tale.

La deuxième condi­tion tient à cette autre res­source préa­lable à la recherche : le temps. Pour main­te­nir la bio­di­ver­si­té néces­saire à un éco­sys­tème de recherche flo­ris­sant, il est néces­saire de garan­tir sta­tu­tai­re­ment la pos­si­bi­li­té du temps long. La sélec­tion spen­cé­rienne pro­mue en haut lieu, faite de frag­men­ta­tion et de contrac­tua­li­sa­tion géné­ra­li­sée des sta­tuts, tue cette diver­si­té et entre­tient la crise qua­li­ta­tive. La solu­tion passe par un recru­te­ment de qua­li­té lié à des postes pérennes, condi­tion de l’attractivité pour les jeunes cher­cheurs comme pour les per­son­nels tech­niques, de sorte à irri­guer sans cesse le sys­tème d’idées et d’aspirations nou­velles.

La troi­sième condi­tion est une divi­sion mini­male du tra­vail savant, ce qui exclut la sépa­ra­tion entre des mana­gers de la recherche exer­çant le pou­voir, et des cher­cheurs et uni­ver­si­taires dépos­sé­dés et deve­nus de simples exé­cu­tants, sépa­ra­tion qui consti­tue la défi­ni­tion stricte d’une bureau­cra­tie. Il est indis­pen­sable de pro­cé­der à un audit des struc­tures empi­lées depuis quinze ans et au chif­frage de leur coût de fonc­tion­ne­ment afin de libé­rer des moyens en sup­pri­mant des strates inutiles, voire nui­sibles.

Sur le plan des pra­tiques, l’exigence et l’originalité des tra­vaux scien­ti­fiques sont garan­ties depuis des siècles par une norme, celle de la contro­verse col­lé­giale (la dis­pu­ta­tio des clas­siques) : la dis­cus­sion contra­dic­toire et libre au sein de la com­mu­nau­té des pairs. Ce prin­cipe de gra­ti­fi­ca­tion sociale fon­dée sur la recon­nais­sance de la valeur intel­lec­tuelle des tra­vaux est irré­duc­tible à une “éva­lua­tion” mana­gé­riale dont les fon­de­ments reposent sur un sys­tème de normes quan­ti­ta­tives externes, déter­mi­nées par les inté­rêts d’inves­tis­seurs : toute métrique nor­ma­tive cesse vite d’être une simple mesure pour deve­nir elle-même l’ob­jec­tif à atteindre. Obli­ga­tion doit donc être faite à tout comi­té de sui­vi, de recru­te­ment ou de pro­mo­tion de baser ses déli­bé­ra­tions sur la lec­ture des tra­vaux, et non sur l’évaluation quan­ti­ta­tive. Le nombre de tra­vaux sou­mis à exa­men doit donc être limi­té dras­ti­que­ment.

L’autonomie du monde savant néces­site enfin de ré-ins­ti­tuer des normes de pro­ba­tion scien­ti­fiques exi­geantes, pre­nant en compte les spé­ci­fi­ci­tés contem­po­raines. Il est urgent de res­ti­tuer aux com­mu­nau­tés de cher­cheurs le contrôle des revues scien­ti­fiques, et de des­ti­tuer l’oligopole de l’édition sur lequel se fondent tech­ni­que­ment et éco­no­mi­que­ment les poli­tiques d’évaluation actuelles.

Pour pro­cé­der à ces réformes, nous nous por­tons can­di­dats à la pré­si­dence de l’institution en charge de défi­nir les normes et les pro­cé­dures qui régulent, orga­nisent et déter­minent la pro­duc­tion savante : le HCERES. Notre can­di­da­ture col­lec­tive vise à renouer avec les prin­cipes d’autonomie et de res­pon­sa­bi­li­té des savants qui fondent la science. Il ne sau­rait y avoir d’ad­mi­nis­tra­tion dis­tincte dotée d’un « pré­sident » pour super­vi­ser ces pra­tiques : c’est l’en­semble du corps savant qui doit pré­si­der à l’é­va­lua­tion qua­li­ta­tive de sa pro­duc­tion.

Sans recherche auto­nome, nous n’avons pas d’avenir


Image illus­tra­tive : Lots of Lego Mini­fi­gures by Nin­ja Brick,en licence Crea­tive Com­mons by

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