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TÉMOIGNAGE. À Gaza, les nuits terrifiantes et les jours épuisants de la famille Shehab

Zakaria Shehab, 37 ans, est professeur de français à l’université Al-Azhar de Gaza, marié à une dentiste et père de cinq enfants. Il raconte les terrifiantes nuits de bombardements, la quête chaque jour de quoi manger et boire, la mort de 48 membres de sa famille et les rêves écrabouillés de ses étudiants.

Dans leur maison de Jabalia, au nord de la bande de Gaza, Zakaria Shehab avec ses cinq enfants. De gauche à droite : Fadi (5 ans), Ro’a (10 mois), Nour (8 ans), Aseel (11 ans) et Mohammed (13 ans).
Dans leur maison de Jabalia, au nord de la bande de Gaza, Zakaria Shehab avec ses cinq enfants. De gauche à droite : Fadi (5 ans), Ro’a (10 mois), Nour (8 ans), Aseel (11 ans) et Mohammed (13 ans). | DR
  • Dans leur maison de Jabalia, au nord de la bande de Gaza, Zakaria Shehab avec ses cinq enfants. De gauche à droite : Fadi (5 ans), Ro’a (10 mois), Nour (8 ans), Aseel (11 ans) et Mohammed (13 ans).
    Dans leur maison de Jabalia, au nord de la bande de Gaza, Zakaria Shehab avec ses cinq enfants. De gauche à droite : Fadi (5 ans), Ro’a (10 mois), Nour (8 ans), Aseel (11 ans) et Mohammed (13 ans). | DR

Zakaria Shehab, 37 ans, habite à Jabalia, une localité qui jouxte la ville de Gaza, dont les soldats israéliens sont tout proches. Marié à Soha, qui est dentiste, ce père de cinq enfants est professeur de français à l’université Al-Azhar de Gaza, la même dont il est sorti diplômé en Lettres au début des années 2000. Zakaria Shehab a séjourné en France de 2013 à 2017, notamment à Montpellier où il a décroché un master en pédagogie. Son témoignage a été recueilli en plusieurs fois, à cause des coupures de téléphone, entre le lundi 30 octobre et le mercredi 1er novembre.

« Le pire, c’est la nuit. On est dans le noir, on sursaute avec les explosions, c’est tellement fort qu’on a l’impression que la bombe a explosé près du lit, les murs tremblent. Avec mon épouse, on dort tous ensemble avec les enfants. J’en ai cinq : trois filles Aseel (11 ans), Nour (8 ans) et Ro’a (10 mois) et deux garçons Mohammed (13 ans) et Fadi (5 ans). Fadi, il a déjà été traumatisé par les bombardements de mai 2021. Depuis, il ne parle plus, on dirait un autiste alors qu’il ne l’est pas.

« La nuit, je le tiens serré dans mes bras. Dire ce qu’on ressent dans ces moments-là, c’est impossible. Je peux vous décrire des choses que je vois, comment on sort des corps des décombres, mais pas ça. J’en suis venu à me dire que si une bombe nous tuait tous ensemble, ce serait le mieux. Le pire, ce serait que mes enfants se retrouvent seuls dans ce monde de misère.

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J’ai perdu 48 membres de ma famille

« Où est la logique dans tout cela ? On est perdu, on ne sait plus où aller ni quoi faire. Au tout début, le 10 octobre, on a reçu des messages de l’armée israélienne qui nous a dit d’évacuer notre quartier parce qu’il allait être bombardé. C’était avant qu’Israël demande à tout le monde d’aller au sud de la bande de Gaza.

« Le 10 octobre, toute notre famille est donc partie. Cela fait beaucoup de monde, parce qu’à Gaza, on vit en famille, souvent dans un même immeuble ou dans plusieurs maisons ou immeubles voisins. Tout le monde est parti à 1 km au nord se réfugier provisoirement dans la famille de ma sœur.

« La deuxième nuit, le 12, les Israéliens ont bombardé. Pas notre quartier mais celui où l’on s’était réfugié. Une bombe est tombée sur une maison. J’ai perdu 48 membres de ma famille, beaucoup de cousins, de cousines, leurs enfants… On pense à eux tous les jours, on les pleure [la voix se brise]. Où est la logique ? Nous ne sommes en sécurité nulle part. Alors, nous avons décidé de rentrer chez nous.

Charger les batteries des voisins

« C’est un immeuble de deux étages où vivent aussi mes parents. À quoi cela sert d’aller dans le Sud ? Un de mes collègues de l’université m’avait proposé de le rejoindre dans sa famille, à Khan Younès où il s’était mis à l’abri. Il est mort maintenant. Dans un bombardement. Dimanche, les deux enfants de ma nièce sont morts avec leur père à Jabalia. J’ai perdu beaucoup d’étudiants aussi…

« Ma maison n’a plus de fenêtre à cause des bombes qui sont tombées pas très loin. Nous n’avons plus d’électricité, plus d’eau potable. Heureusement, moi, j’ai un panneau solaire qui produit un peu d’électricité. C’est pour cela que je peux vous parler, quand Internet fonctionne…

« Tous les matins, les voisins viennent charger des batteries. À moitié, car on est obligé de rationner. Pour la nourriture, ça va parce qu’il y a des stocks de fèves et de lentilles, pour encore trois ou quatre semaines dit-on. Mais pour le riz, les fruits et les légumes, c’est devenu très compliqué, très cher. On prend ce qu’on trouve. Hier, c’était des aubergines qu’on a fait griller.

« Pour l’eau, c’est très compliqué. Comme dans beaucoup d’endroits à Gaza [avant la guerre], l’eau du robinet n’est pas buvable, elle est salée. On peut s’en servir pour se laver ou la cuisine, c’est tout. On doit faire la queue quand passe un camion-citerne, souvent ce sont les enfants qu’on envoie.

L’électricité, le gaz, la farine et l’eau

« Chaque matin, j’ai quatre priorités. 1) D’abord l’électricité pour charger les batteries des voisins. 2) Essayer de trouver du gaz pour la cuisine. Je prends la bouteille vide sur mon vélo électrique et j’essaye d’en trouver pour au moins la remplir un peu. Mais c’est devenu presque impossible. 3) La farine. On fait le pain chez nous au feu de bois. Dans les boulangeries, les queues sont immenses et c’est dangereux car plusieurs boulangeries ont été bombardées. 4) L’eau potable.

« Je fais tout cela, mais je ne sais pas si on sera encore vivants le lendemain. Contrairement aux guerres précédentes, ce sont des familles entières qui meurent. On ne parle plus de la mort de untel ou untel, mais de la famille untel. Vingt, trente, cinquante morts d’un coup. Et la nuit, on ne peut pas avoir de secours car c’est trop dangereux pour eux de circuler. Les blessés doivent attendre jusqu’au matin. Et il n’y a pas toujours le matériel pour les dégager. Je pense qu’il y a beaucoup de morts sous les décombres. C’est pour cela que beaucoup de gens écrivent leurs noms autour de leur cou pour être identifiés après leur mort.

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« Vous savez, nous ne sommes pas que des chiffres. Nous sommes des êtres humains, avec une famille, une vie. À Gaza aussi, on a des rêves. Mes enfants ont des rêves, mes étudiants et mes étudiantes ont des rêves. Comment va être leur vie après tout cela ? »

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